Un poison que Médée apporta dans Athènes
Journée d'étude
Samedi 3 juin 2023
Un poison que Médée apporta dans Athènes
Un poison que Médée apporta dans Athènes
Site des Granges, Salon vert
Journée d'étude

Comité scientifique : Gilles Declercq, Philippe Luez, Laurence Plazenet
Comité d’organisation : Caroline Labrune, Servane L’Hopital, Tony Gheeraertription à la journée est gratuite, via ce formulaire d'inscription très simple et rapide: https://forms.gle/NVGP9tfzTzETZMPfA

Un déjeuner sur place est proposé dans la limite des places disponibles, sur inscription via le formulaire ci-dessus, et contre une participation aux frais de 25 € (15 € pour les étudiants de moins de 28 ans), payable avant le 19 mai
• par virement (RIB en pièce jointe)
• par chèque (à l'ordre de la Société des Amis de Port-Royal, à l'adresse de notre trésorière : Françoise Pouge-Bellais, 9 résidence Olympia, 14 000 Caen. Informations trésorerie: francoise.pouge-bellais@wanadoo.fr

Site Internet : https://annivracine.hypotheses.org/

Contact : anniversaires_raciniens@googlegroups.com

Samedi 3 juin 2023

Un poison que Médée apporta dans Athènes

ACTUALITES

capuon

Port-Royal et le théâtre

Journée d'Etude

Programme


09h40 – Présentation de la journée

10h00 – Philippe Luez (Musée national de Port-Royal des Champs), « Illustrer Racine »

10h40 – Yosuke Morimoto (Université de Tokyo), « Nicole et Escobar (et Cie) : une relecture du Traité de la Comédie »

11h20 – Pause

11h30 – Servane L’Hopital (Lycée Malherbe de Caen), « Jouer et prier. Analyse comparée du Traité sur la comédie et du Traité sur la prière de Pierre Nicole»

12h10 – Tristan Alonge (Université de La Réunion), « La tentation de Joad. Sur les traces d’une théologie augustinienne dans Athalie »

12h50 – Déjeuner

14h30 – Franc Schuerewegen (Université d’Anvers), « Histoire de nonnes, de signatures et de Bajazet »

15h10 – Lauriane Maisonneuve (Université de Lyon-II), « L’ego racinien ou l’intégration de la contrainte janséniste »

15h50 – Pause

16h10 – « Droit à la fiction et moralité du théâtre, hier et aujourd’hui », entretien avec Léna Paugam (compagnie Alexandre) animé par Tony Gheeraert

17h00 – Clôture de la journée

________________________________________

« Un poète de théâtre et un faiseur de romans est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles. » Cette formule cinglante, lancée par Pierre Nicole dans le feu d’une polémique, a beaucoup contribué à forger l’image d’un Port-Royal hostile aux plaisirs des spectacles, et réfractaire à l’une des plus exaltantes expériences littéraires et artistiques qu’ait connues la France, à l’époque où triomphaient sur scène Corneille, Molière et Racine. Ce dernier, auteur de très violentes Lettres à l’auteur des Imaginaires, rompit bruyamment avec ses anciens maîtres en leur reprochant leur aversion pour le théâtre. Cette « querelle des Imaginaires » contribua à figer les positions de l’histoire littéraire : il parut évident qu’au temps de Louis XIV, le théâtre avait ses amis – tous nécessairement esprits ouverts, libres et créatifs – et ses ennemis – des rabat-joie engoncés dans un moralisme obtus. Parmi ces derniers figuraient au premier chef les « jansénistes » de Port-Royal, Pierre Nicole, et plus encore le prince de Conti, à qui la tradition historiographique ne pardonna pas d’avoir trahi Molière après l’avoir protégé avant de devenir dévot.

Un tel manichéisme ne laisse pas d’être réducteur. D’abord, les « prétendus jansénistes » n’étaient en rien isolés à l’époque dans leur combat contre l’art dramatique : Bossuet, ennemi déclaré de l’augustinisme port-royaliste, blâma le théâtre avec la même virulence que les Messieurs quelques années plus tard. Les sulpiciens autour de Jean-Jacques Olier, ennemis jurés des jansénistes, avaient développé une pastorale anti-comédiens. L’archevêché de Paris, de son côté, obtint du roi l’interdiction du Tartuffe. Quant aux jésuites, ils toléraient certes dans leurs collèges une pratique pédagogique par la scène, mais celle-ci était étroitement encadrée et limitée, et n’empêchait pas une certaine réticence à l’égard de la fiction.

Non seulement les port-royalistes ne détenaient pas le monopole de la haine du théâtre, mais surtout, les différents traités et textes contre « la comédie » produits par les amis du monastère ne sauraient constituer les ultima verba des Solitaires sur la question. Comme Racine se plaisait à le leur rappeler malicieusement dans ses Lettres, n’avaient-ils pas traduit Térence ? N’avait-il pas lui-même appris le grec, aux Petites-Écoles, dans Euripide et Sophocle ? Et n’avait-il pas également appris la déclamation et la diction, dont le caractère chantant est resté célèbre, auprès de l’avocat Antoine Le Maistre ? La révolte du jeune dramaturge se fondait sur une incompréhension sincère : comment ses maîtres, qui avaient allumé en lui une passion absolue et définitive pour le théâtre antique, pouvaient-ils lui reprocher d’avoir choisi la carrière dramatique, où il ne tendait après tout qu’à ressusciter à Paris la gloire artistique de l’ancienne Athènes ? En 1666, cette contradiction lui paraissait insupportable et choquante, voire l’indice d’une hypocrisie indigne de pieux Solitaires. La répulsion pour le théâtre, si hautement affichée par Nicole et ses amis, pouvait bien être le revers d’une fascination troublée pour la fiction, que le jeune Racine avait sentie, et qui fut sans doute la cause de son malaise, puis de sa rupture fracassante avec Port-Royal. Comme l’a montré Laurent Thirouin dans L’Aveuglement salutaire (1998), ces détracteurs du théâtre étaient aussi paradoxalement ceux qui lui prêtaient le plus de pouvoir, alors que ses défenseurs en minimisaient plutôt les effets.

Pourtant, bien plus tard, après douze ans d’un brillant parcours, Racine renonça au théâtre et se réconcilia avec Port-Royal. Était-ce pour confesser qu’il avait tort, que la scène et la morale augustinienne étaient finalement et effectivement incompatibles ? Ce serait oublier toutefois que, tout en professant la plus sincère dévotion, le vieux poète consentit encore écrire et conduire deux créations dramatiques, certes dans le cadre pédagogique, à la demande de Madame de Maintenon, sans que ses relations avec ses anciens maîtres aient été en rien affectées.

Si le conflit puis le rapprochement entre Racine et ses maîtres structure en grande partie la réflexion sur les liens entre Port-Royal et le théâtre, la figure de Corneille apparaît en fait encore plus obsédante dans les textes des amis du monastère : le dramaturge rouennais est l’adversaire privilégié des polémistes anti-théâtraux, qui manifestent une excellente connaissance de son œuvre ; comme l’a montré une rencontre récente, on devine aussi à plusieurs reprises le filigrane cornélien dans l’œuvre de Pascal, dont l’écriture mobilise tous les ressorts de la dramaturgie. Quant à Tartuffe, l’entourage de Louis XIV a pu y déceler une alliance objective avec les «jansénistes», expliquant son interdiction.